DAU © Phenomen IP 2019 - Photographer : Jörg Gruber
DAU © Phenomen IP 2019 – Photographer : Jörg Gruber

La promesse (non tenue ?) d’une expérience artistique immersive.

Annoncé comme l’événement culturel parisien à ne pas manquer, le projet DAU (prononcez “da-o”) a été largement conspué la semaine dernière par une presse et un public unanime alors que son lancement tournait au fiasco (ouverture retardée de 24h provoquant exaspération et files d’attentes dignes de l’ère soviétique, espaces partiellement ouverts, désorganisation générale…).

Au delà de l’agacement légitime des spectateurs ayant payé 150 euros pour la promesse d’un parcours personnalisé qui s’est avéré inexistant, aucune des performances artistiques et autres expériences scientifiques et spirituelles prévues ne semblaient être au rendez-vous. Seuls des films (à caractère pornographiques pour certains) étaient projetés.

Ça fait maigre pour une œuvre totale annoncée comme révolutionnaire : immersion dans une cité scientifique soviétique des années 40 à 60, reconstituée en Ukraine et filmée durant 2 ans par la caméra big-brother d’lya Khrzhanovsky, cinéaste russe quarantenaire, visiblement fasciné par Lev Landau (surnommé Dau), Prix Nobel de physique russe de l’ère communiste.

De ce tournage, DAU donne à voir (jusqu’au 17 février, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24), 13 longs métrages totalisant 700 heures de rushes mettant en scène, sans réel scénario et acteurs professionnels, 400 personnages interprétés par de vrais chercheurs, des prostituées, des prêtres et même d’ex-membres du KGB. De nombreux artistes de renommée internationale ont aussi collaboré à ce projet (Brian Eno, Massive Attack, Isabelle Huppert, Willem Dafoe, Monica Bellucci, Isabelle Adjani, Fanny Ardant, Marina Abramovic…) soutenu par les instances culturelles de la Ville de Paris.

Mais il n’y a pas que ça : budget pharaonique aux financements obscurs, suspicions de finalités peut-être pas si artistiques que ça, données personnelles du public collectées, pratiques imposées aux visiteurs digues d’un régime totalitaire (on est obligé de laisser son téléphone portable à l’entrée par exemple), la liste est longue des questionnements que suscite ce projet hors normes à commencer par “What the point ?!”. Ne serait-ce qu’une escroquerie à destination d’un public bobo en mal de sensations fortes ? Une vaine mise en abime de notre voyeurisme et de notre soumission volontaire ?

Alors pourquoi vous en parler ici ? Et bien parce que, mû par ma curiosité, je suis allée passer quelques heures au Théâtre de la Ville et au Centre Pompidou (le Théâtre du Châtelet n’avait pas encore reçu son autorisation d’ouverture au public, il est question qu’il ouvre mardi prochain). Or il se trouve que l’expérience multi-sensorielle m’a plu.

J’ai assisté à un concert flute-voix émouvant, déambulé dans des décors littéralement habités, dégageant paradoxalement une grande sensation de liberté (on peut se poser dans les décors et interagir avec chaque élément sans que personne ne nous dise rien), vu des films en 35 mn sans sexe ni violence à l’atmosphère saisissante, parlé avec des thérapeutes déroutants. J’ai aussi rencontré des gens tout aussi déstabilisés que moi, longuement échangé avec une conférencière de Beaubourg très agacée par la démarche, grignoté à la cantine où l’on sert des borchtchs, erré dans un gigantesque théâtre en travaux, admirer des vues sur Paris inédites, constaté l’enthousiasme dans le regard de nombreux participants…

Ce post n’a pas pour but de vous inviter à y aller mais sachez que si vous franchissez le pas, il existe un tarif réduit à 20 euros et que le “visa” de 6 heures (sans questionnaire préalable intrusif) est largement suffisant pour vous faire votre avis (et en profitez pour accéder aux collections permanentes de Beaubourg le jour J sans débourser un sous de plus !).