© Misc Webzine

Note de lecture.

Entreprise de vulgarisation portant sur l’histoire de notre espèce, Sapiens, une brève histoire de l’humanité” de Yuval Noah Harari est un immense succès d’édition international depuis sa sortie en 2015. Je le lis depuis des mois. Chaque page est matière à réflexion. Tout y est vertigineux.

En ce moment, j’en suis au chapitre sur la révolution scientifique dans lequel l’auteur démontre que la recherche scientifique est indissociable des forces idéologiques, politiques et économiques de nos sociétés. Le passage qui suit m’a profondément déprimé. Pour certain (la majorité ?), c’est d’une évidence absolue. Pour moi, c’est un résumé effrayant de notre monde… J’ai pensé au récent scandale des “vaches hublots” révélé par L214, qu’au nom de la science (mais surtout du business) nous tolérons. Un exemple parmi mille autres du monde en 2019. À pleurer.

Arrêtons-nous sur la difficulté suivante : deux biologistes du même département, possédant les mêmes talents professionnels, ont tous deux sollicité un crédit d’un million de dollars pour financer leurs recherches en cours. Le professeur Cornegidouille veut étudier une maladie qui infecte le pis des vaches et entraîne une baisse de 10% de leur production de lait. Sa collègue, Chou, voudrait savoir si les vaches souffrent mentalement d’être séparées de leurs veaux. À supposer que les fonds soient limités et qu’il soit impossible de financer les deux projets de recherche, qui devrait-on financer ?
Il n’est pas de réponse scientifique à cette question, juste des réponses politiques, économiques et religieuses. Dans le monde actuel, il est clair que Cornegidouille a de meilleures chances d’obtenir gain de cause. Non que les maladies du pis soient plus intéressantes que la mentalité bovine, mais parce que l’industrie laitière, qui a tout à gagner à cette recherche, a plus de poids politique et économique que le lobby du droit des animaux.
Peut-être dans une société hindoue stricte, où les vaches sont sacrées, ou dans une société attachée aux droits des animaux, le professeur Chou aurait-elle mieux réussi. Mais tant qu’elle vit dans une société qui place le potentiel commercial du lait et la santé de ses citoyens au-dessus de la sensibilité des vaches, elle ferait mieux d’orienter son projet de recherche en tenant compte de ces paramètres. Par exemple, elle pourrait écrire que la “dépression est préjudiciable à la production de lait. Si nous comprenions l’univers mental des vaches laitières, nous pourrions créer des médicaments psychiatriques qui amélioreraient leur humeur, augmentant ainsi la production de lait jusqu’à 10%. J’estime qu’il existe un marché annuel mondial de 250 millions de dollars pour les médicaments relevant de la psychiatrie bovine”.

Sapiens, une brève histoire de l’humanité” – Yuval Noah Harar