Misc - Dans l'atelier de Claire Fréchet, céramiste

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Céramiste, créatrice de paysages tactiles.

J’ai découvert le travail de Claire Fréchet à l’occasion de sa première participation au dernier Maison & Objet. Sur l’espace Craft – Métiers d’Art du salon, j’ai été immédiatement happée par ses pièces aux surfaces très texturisées et aux patines surprenantes. Les vases-sculptures de Claire m’ont tout de suite fait penser à la force du feu et de la terre. J’avais l’impression d’être face à une rencontre entre de spectaculaires volcans et la bienveillante pachamacha, la déesse-terre de la cosmogonie andine. Autant dire des symboliques très fortes pour moi qui ai pour la géologie et l’Amérique latine une affection sans borne.

Or, dès les premiers mots échangés, Claire m’a appris qu’une partie de sa formation à l’art de la céramique s’est déroulée au Mexique. C’est un collectif de femmes indiennes de l’État de Oaxaca qui lui a transmis des techniques pré-colombiennes de polissage de la terre à l’agate… Il n’y a pas de hasard…

Plus Claire me racontait son parcours, plus il faisait sens. Son rapport au long processus de gestation que demande le travail de la terre est très humble. Le risque final que représente la mise au feu vous le rappelle constamment. Au delà de cette humilité, Claire est une créatrice qui dégage une authentique générosité. Elle vous invite à toucher ses œuvres, c’est pour elle une évidence de pouvoir caresser ses pièces. Pour nous, c’est une expérience sensorielle étonnante, une façon de poursuivre le geste du modelage initial.

Comme elle est aussi généreuse que pédagogue dans le partage de son savoir-faire, j’ai tout de suite eu très envie de lui rendre visite dans son atelier. Vous allez voir, ses réponses à mes questions sont passionnantes !

Claire Fréchet, céramiste

© Audrey Wnent

Nous voici donc à Gouvieux, petite commune de l’Oise, sous un plateau calcaire (dont les pierres ont servi à construire Notre-Dame de Paris !) dans une charmante impasse de maisons troglodytes. C’est dans ce cadre insolite, et si incroyablement évident au travail de la terre, que se trouve l’atelier-showroom de Claire.

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Quel est ton parcours Claire ?

J’ai commencé par une formation de sculpteur amateur puis, en 2003, j’ai découvert et je me suis formée au Mexique à des processus céramiques propres à ce pays. En France, j’ai continué à me former au tournage, à la faïence et aux techniques céramiques spécifiques au fur et à mesure…

Depuis quand as-tu commencé ton travail créatif ? Quel a été le déclic pour te lancer ?

J’ai découvert vraiment la céramique comme art de la terre et du feu au Mexique, dans une communauté où j’ai eu la chance de participer à tout le processus, depuis l’extraction de l’argile dans la carrière jusqu’à la construction du four. C’était en 2003. J’étais subjuguée par la richesse des possibilités à chaque moment du processus et l’incroyable créativité qui pouvait être déployée à partir d’un matériau si simple et commun.
La découverte du tournage à Paris en 2005 a été aussi déterminante ; cela m’a bouleversé et je ne me suis pas lassée d’apprendre depuis… C’est un travail très exigent et on apprend tant sur soi face à la matière que c’est presque un chemin de vie qu’on choisit.
Je me suis installée comme céramiste professionnelle à la suite de cette aventure et d’une longue formation, en 2009.

Ton approche est plus collective et généreuse que solitaire me semble-t-il ?

Oui, une passion, ça se partage. Mon métier, c’est avant tout un rapport joyeux à l’élan de vie créatif qui nous habite et qui est canalisé dans l’expression plastique de la terre dans mon cas. J’aime aussi rencontrer des gens qui se dépouillent de tout masque dans l’atelier, qui se retrouvent face à la nudité de leurs mains, confrontés au temps de la matière, si douce entre leurs mains, mais qui demande tant de soin et d’humilité…

Misc - Dans l'atelier de Claire Fréchet, céramiste

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Que représente la céramique pour toi ?

L’aventure des arts qui invoquent le feu est tout simplement fabuleuse !
Modeler cette matière dont la plasticité est délicieuse puis la mettre au feu est une opération dramatique au sens propre. On reproduit un processus géologique extraordinaire… En fait, on fait faire à l’argile le chemin géologique inverse de celui qu’elle a parcouru en plusieurs millions d’années (la céramique, c’est de l’argile cuite, redevenue, à travers la cuisson, de la roche, physiquement. Or l’argile est issue de la décomposition des roches de notre planète).
C’est aussi une manière de rejouer la formation de notre propre Terre dont on imagine qu’elle est le refroidissement de matières modelées par la gravitation et fusionnées dans un grand bouillonnement d’énergie

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As-tu des mentors, des références, des artistes/artisans que tu admires ?

Il y a quelques grands artistes que j’admire. Nicolas de Staël pour sa prise de risque incroyable, son travail d’une audace et d’une exigence folles, très radical, sur le fil du rasoir et qui a créé des peintures très puissantes dans leur apparente simplicité et très ancrées dans leur apparente “abstraction”. Soulages qui utilise le noir non comme valeur mais pour révéler la matière et organiser la lumière ; il s’attache aux phénomènes et pas à la représentation. Et puis j’admire beaucoup Fabienne Verdier qui dépasse les cadres d’une discipline (de la calligraphie) pour aller chercher au fond de soi l’expression d’une source de vie à travers une ascèse d’une grande… discipline.
J’ai un immense attachement pour l’esprit de création japonais zen, leur art de l’asymétrie, la corrélation entre l’ombre et la lumière, leur grande intelligence de l’objet abordé à partir du Vide.

Ton travail s’inscrit-il dans un courant ? Ou, à l’inverse, comment définirais-tu ton style, ta spécificité ?

Je fabrique des sortes de paysages tactiles en volume, avec des variations, des contrastes que je crée comme on écrit des poèmes, pour inviter à la méditation.

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Quel est ton processus créatif avec la terre ?

Toute création d’une pièce ou d’une collection est une métaphore qui se déroule. Cela commence toujours par un étonnement face à des phénomènes de la nature, dont je perçois l’harmonie et les contrastes. J’observe beaucoup, je dessine peu car je n’aime pas figer les formes (ou je ne sais pas bien le faire). Je ne travaille pas dans une idée figurative, mais je prends des notes, je m’interroge sur des phénomènes organiques et géologiques, sur l’impétuosité des éléments et leur infinie tranquillité… j’écris des sortes d’aphorisme, d’idées qui se rélient toujours les unes les autres. Ce sont toujours les mêmes questions autour du vide qui dure et du plein qui s’achève ; de l’ombre et de la lumière qui s’enlacent plus qu’ils ne se séparent; du doux et du rugueux… Ensuite ces questionnements m’habitent et je sais que mon inconscient travaille (à mon insu d’une certaine façon) à travers mes mains.
J’aime les formes simples, j’aime l’idée que je n’invente rien mais que j’interprète tout (ou l’essentiel à mes yeux en tout cas) à travers ma sensibilité…
Quand je décide d’un volume, je vois naître un corps qui va porter des signes et raconter très discrètement une histoire d’éclosion, d’érosion, connotée de trames cosmiques…
Le toucher est essentiel dans mon travail, mais ça… je ne peux pas trop dire pourquoi, c’est très ancré.

Quelle est pour toi la partie la plus difficile de ce process ?

La partie la plus délicate est paradoxalement celle où je ne fais rien : le séchage, que je dois beaucoup temporiser. Garder les pièces le plus longtemps possible à un stade “cuir” où je peux les polir à la pierre d’agate ; puis les faire sécher très lentement pour qu’il n’y ait pas de tension dans le volume.

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Quelle est l’histoire de ton atelier ?

Je suis arrivée dans cet atelier en 2013 alors que je cherchais un lieu où installer mon activité. Néanmoins j’ai connu l’endroit un peu par hasard et j’ai tout de suite eu le coup de foudre. C’est un lieu magique, avec une histoire incroyable, longue de … plusieurs millions d’années (j’ai retrouvé des fossiles de coquillages du Crétacé dans la roche) ! Ce lieu a presque toujours été habité. Gouvieux vient de “God” en picard qui signifie “grotte”. C’est donc un lieu chargé d’histoire humaine et naturelle.

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L’atelier est-il important ou accessoire ?

Cet atelier est mon cocon minéral, mon lieu de création et de développement ; il est très important dans ce moment de ma vie professionnelle. J’ai une très belle lumière car ma façade est dégagée et je suis exposée plein sud ; je suis heureuse d’accueillir les clients et les élèves dans cet endroit du bout de monde, qui sied si bien à une activité hors du temps comme la mienne.
J’ai la chance d’avoir de la place pour les différentes phases du processus : le séchage délicat peut être assez idéalement géré dans une salle troglodyte non chauffée tandis que les fours sont dans une pièce opposée.

Misc - Dans l'atelier de Claire Fréchet, céramiste

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Quels sont tes outils indispensables ?

Sans mes fours, je ne suis plus céramiste…

Y’en a-t-il d’autres que tu aimerais avoir ?

Bien sûr, je voudrais des fours plus gros et plus performants. Mais j’aimerais aussi découvrir d’autres savoir-faire et outils complémentaires au modelage par la suite : travailler vraiment bien le plâtre ; apprendre à me servir d’une imprimante 3D ou d’outils numériques de modélisation.
Et puis reprendre le temps de dessiner tout simplement…

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Y’a-t-il des pièces que tu rêves de faire mais dont tu n’as pas pour l’instant de solution technique de mise en œuvre ?

Des pièces plus grosses, plus expressives.

Vis-tu de tes créations ?

Oui, c’est ma seule activité, avec l’enseignement de mon métier dans mon atelier à travers cours et stages.

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Comment ton travail créatif rythme-t-il ta vie ?

Je travaille tous les jours et parfois le week-end, je suis sans cesse connectée à mon travail.

Quel est le circuit de distribution de tes productions ?

Je m’adresse à la fois aux particuliers et aux professionnels.

Où peut-on trouver tes créations ?

Certaines de mes créations sont présentes à la Galerie EMPREINTES des Ateliers d’Art de France jusqu’au 5 août.
Et bien sûr, on peut venir dans mon show room, à l’atelier, sur rendez-vous.

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Comment a évolué ton activité depuis le début jusqu’à aujourd’hui ?

J’ai l’impression d’approfondir un incessant questionnement que je ne maîtrise pas tellement. Donc il y a un rapport flagrant entre mes pièces du début et celle de maintenant.
J’ai l’impression aujourd’hui que je vais chercher plus loin dans les 3 dimensions, que j’ose exprimer plus de choses. Mais je déroule un même fil, au fond.

Quels sont tes projets, tes prochains défis ?

Je travaille sur un projet de collaboration très stimulant métal/porcelaine, avec un ami sculpteur sur métal, Karl Hugo Mars. C’est un projet de totem lumineux avec un travail très nouveau pour moi sur de la porcelaine translucide… A suivre…

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Si, comme je l’espère, vous êtes sensibles au travail de Claire et que vous souhaitez la visiter, sachez que son atelier se situe à seulement 45 minutes de Paris.

Pour prendre le temps d’explorer les forêts, châteaux et domaines équestres alentours de Chantilly et de Lamorlaye, vous pouvez séjourner au gite La Troglo qui jouxte l’atelier de Claire. La région est aussi riche en sentiers de randonnées et en brocantes pour chiner comme celle immense et ouverte tous les jours de Larmolaye.

L’atelier de Claire est ouvert aux visiteurs sur simple rendez-vous ainsi qu’aux élèves de tous ages qui souhaitent s’initier ou se perfectionner au modelage, tournage et décor sur faïence (il y a des stages en juillet et en août !). Sur Paris, ses œuvres sont à retrouver chez Empreintes jusqu’au 5 août puis à Maison & Objet en septembre.

Le site de Claire Fréchet.